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alain de benoist - Page 116

  • Alain de Benoist et les élections en Tunisie...

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    Vous pouvez écouter ci-dessous une analyse des élections en Tunisie par Alain de Benoist pour la radio iranienne de langue française IRIB.

     

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  • Alain de Benoist s'entretient avec David L'Epée (1/2)...

    De nationalité suisse, David L'Epée est un jeune journaliste d'idées indépendant.  Alain de Benoist répond à ses questions...

    Thèmes abordés :

    1 – Alain de Benoist : penseur de gauche ou de droite ?
    2 –  Qu’est-ce que la Nouvelle Droite ?
    3 –  Les médias et l’étiquette de droite
    4 –  Une évolution intellectuelle de la droite vers la gauche ?
    5 –  L’intellectuel engagé face au militant de parti
    6 –  Quête de vérité et recherche d’efficacité
    7 –  L’élite et le peuple
    8 –  Gramsci et la méthode du combat culturel
    9 –  Une droite allergique aux intellectuels
    10 –  L’Europe fédéraliste des peuples : contre l’Union européenne et contre les nationalismes
    11 –  Quelle alternative à la technocratie européiste ?
    12 –  Un exemple de résistance à l’européisme : la Suisse
    13 –  La géopolitique des blocs pour un monde multipolaire.


    Entretien avec Alain de Benoist 1/2 par davidlepee

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  • Mort à crédit !...

    Le nouveau numéro d'Eléments est en kiosque. il est aussi disponible sur le site de la revue.  Vous pouvez lire ci-dessous l'éditorial de Robert de Herte, alias Alain de Benoist, consacré au système du crédit.

     

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    Mort à crédit

    Ezra Pound, au chant XLV de ses célèbres Cantos : « Par usura n’ont les hommes maison de pierre saine / blocs lisses finement taillés scellés pour que / la frise couvre leur surface / per usura / n’ont les hommes paradis peint au mur de leurs églises […] Par usura péché contre nature [with usura sin against nature] / sera ton pain de chiffes encore plus rance / sera ton pain aussi sec que papier / sans blé de la montagne farine pure / per usura la ligne s’épaissit / per usura n’est plus de claire démarcation / les hommes n’ont plus de site pour leurs demeures / et le tailleur est privé de sa pierre / le tisserand de son métier […] Les cadavres banquettent / au signal d’usura [Corpses are set to banquet / at behest of usura] ».

    Les excès du prêt à intérêt étaient condamnés à Rome, ainsi qu’en témoigne Caton selon qui, si l’on considère que les voleurs d’objets sacrés méritent une double peine, les usuriers en méritent une quadruple. Aristote, dans sa condamnation de la chrématistique, est plus radical encore. « L’art d’acquérir la richesse, écrit-il, est de deux espèces : l’une est sa forme mercantile et l’autre une dépendance de l’économie domestique ; cette dernière forme est nécessaire et louable, tandis que l’autre repose sur l’échéance et donne prise à de justes critiques, car elle n’a rien de naturel […] Dans ces conditions, ce qu’on déteste avec le plus de raison, c’est la pratique du prêt à intérêt parce que le gain qu’on en retire provient de la monnaie elle-même et ne répond plus à la fin qui a présidé à sa création. Car la monnaie a été inventée en vue de l’échange, tandis que l’intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-même […] L’intérêt est une monnaie née d’une monnaie. Par conséquent, cette façon de gagner de l’argent est de toutes la plus contraire à la nature » (Politique).

    Le mot « intérêt » désigne le revenu de l’argent (foenus ou usura en latin, tókos en grec). Il se rapporte à la façon dont l’argent « fait des petits ». Dès le haut Moyen Age, l’Eglise reprend à son compte la distinction qu’avait faite le droit romain pour le prêt de biens mobiliers : il y a des choses qui se consument par l’usage et des choses qui ne se consument pas, qu’on appelle commodatum. Exiger un paiement pour le commodat est contraire au bien commun, car l’argent est un bien qui ne se consume pas. Le prêt à intérêt sera condamné par le concile de Nicée sur la base des « Ecritures » – bien que la Bible ne le condamne précisément pas ! Au XIIe siècle, l’Eglise reprend à son compte la condamnation aristotélicienne de la chrématistique. Thomas d’Aquin condamne également le prêt à intérêt, avec quelques réserves mineures, au motif que « le temps n’appartient qu’à Dieu ». L’islam, plus sévère encore, ne fait même pas de distinction entre l’intérêt et l’usure.

    La pratique du prêt à intérêt s’est pourtant développée progressivement, en liaison avec la montée de la classe bourgeoise et l’expansion des valeurs marchandes dont elle a fait l’instrument de son pouvoir. A partir du XVe siècle, les banques, les compagnies de commerce, puis les manufactures, peuvent rémunérer des fonds empruntés, sur dérogation du roi. Un tournant essentiel correspond à l’apparition du protestantisme, et plus précisément du calvinisme. Jean Calvin est le premier théologien à accepter la pratique du prêt à intérêt, qui se répand alors par le biais des réseaux bancaires. Avec la Révolution française, le prêt à intérêt devient entièrement libre, tandis que de nouvelles banques apparaissent en grand nombre, dotées de fonds considérables provenant surtout de la spéculation sur les biens nationaux. Le capitalisme prend alors son essor.

    A l’origine, l’usure désigne simplement l’intérêt, indépendamment de son taux. Aujourd’hui, on appelle « usure » l’intérêt d’un montant abusif attribué à un prêt. Mais l’usure est aussi le procédé qui permet d’emprisonner l’emprunteur dans une dette qu’il ne peut plus rembourser, et à s’emparer des biens qui lui appartiennent, mais qu’il a accepté de donner en garantie. C’est très exactement ce que nous voyons se passer aujourd’hui à l’échelle planétaire.

    Le crédit permet de consommer l’avenir dès le moment présent. Il repose sur l’utilisation d’une somme virtuelle que l’on actualise en lui attribuant un prix, l’intérêt. Sa généralisation fait perdre de vue le principe élémentaire selon lequel on doit limiter ses dépenses au niveau de ses ressources, car on ne peut perpétuellement vivre au-dessus de ses moyens. L’essor du capitalisme financier a favorisé cette pratique : certains jours, les marchés échangent l’équivalent de dix fois le PIB mondial, ce qui montre l’ampleur de la déconnection avec l’économie réelle. Lorsque le système de crédit devient une pièce centrale du dispositif du Capital, on rentre dans un cercle vicieux, l’arrêt du crédit risquant de se traduire par un effondrement généralisé du système bancaire. C’est en brandissant la menace d’un tel chaos que les banques ont réussi à se faire constamment aider des Etats.

    La généralisation de l’accession au crédit, qui implique celle du prêt à intérêt, a été l’un des outils privilégiés de l’expansion du capitalisme et de la mise en place de la société de consommation après la guerre. En s’endettant massivement, les ménages européens et américains ont incontestablement contribué, entre 1948 et 1973, à la prospérité de l’époque des « Trente Glorieuses ». Les choses ont changé lorsque le crédit hypothécaire a pris le dessus sur les autres formes de crédit. « Le mécanisme de recours à une hypothèque comme gage réel des emprunts représente infiniment plus, rappelle Jean-Luc Gréau, qu’une technique commode de garantie des sommes prêtées, car il bouleverse le cadre logique d’attribution, d’évaluation et de détention des crédits accordés […] Le risque mesuré cède la place à un pari que l’on prend sur la faculté que l’on aura, en cas de défaillance du débiteur, de faire jouer l’hypothèque et de saisir le bien pour le revendre à des conditions acceptables ». C’est cette manipulation d’hypothèques transformées en actifs financiers, jointe à la multiplication des défauts de paiement d’emprunteurs incapables de rembourser leurs dettes, qui a abouti à la crise de l’automne 2008. On voit l’opération se répéter aujourd’hui, aux dépens des Etats souverains, avec la crise de la dette publique.

    C’est donc bien au grand retour du système de l’usure que nous sommes en train d’assister. Ce que Keynes appelait un « régime de créanciers » correspond à la définition moderne de l’usure. Les procédés usuraires se retrouvent dans la manière dont les marchés financiers et les banques peuvent faire main basse sur les actifs réels des Etats endettés, en s’emparant de leurs avoirs au titre des intérêts d’une dette dont le principal constitue une montagne d’argent virtuel qui ne pourra jamais être remboursé. Actionnaires et créanciers sont les Shylock de notre temps.

    Mais il en est de l’endettement comme de la croissance matérielle : ni l’un ni l’autre ne peuvent se prolonger à l’infini. « L’Europe commise à la finance, écrit Frédéric Lordon, est sur le point de périr par la finance ». C’est ce que nous avons écrit nous-mêmes depuis longtemps : le système de l’argent périra par l’argent.

    Robert de HERTE (Eléments n°141, octobre-décembre 2011)

     

     

     

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  • Qu'est-ce que le gramscisme ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Alain de Benoist, publié en mars 1978 dans le Figaro magazine et consacré à Antonio Gramsci et à sa théorie de l'hégémonie culturelle.

     

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    GRAMSCI ET LA CONQUETE DU POUVOIR CULTUREL

     

    Lorsque l'on essaie de caractériser le débat politique et idéologique qui se déroule actuellement dans les pays occidentaux, le mot qui vient le plus spontanément à l'esprit est celui de « totalité ». Nous sommes en présence d'un débat total. Entendons par là, non un débat de caractère ou d'esprit « totalitaire » (encore que la tentation totalitaire, malheureusement, n'en soit pas toujours absente), mais un débat qui, de plus en plus, porte aussi bien sur les domaines politiques traditionnels que sur des sujets qu'on avait antérieurement l'habitude de considérer comme « neutres ».

    Il y a encore quelques années, les factions et les partis ne s'affrontaient guère que sur des questions directement politiques, telles que le système des institutions, le mode du gouvernement, le programme de législature, etc., tandis qu'un consensus tacite se faisait sur les structures élémentaires fondamentales. La famille était rarement remise en cause, on n’en discutait pas la valeur intrinsèque de l'école, de la médecine, de la psychiatrie. Enfin, on considérait qu'un accord pouvait facilement s'établir sur les vérités scientifiques. Cette situation a aujourd'hui complètement changé. Les sociétés modernes sont confrontées à une contestation qui ne récuse pas seulement telle ou telle modalité de pouvoir ou de gouvernement, mais qui s'attaque à la structure même de la société, qui affirme tour à tour qu'il n'a pas de différences entre les hommes, que l'autorité des parents sur leurs enfants est toujours injustifiée, que les malades mentaux sont moins fous que les gens normaux, que l'école est une insitution intrinsèquement « répressive », que le pouvoir est le mal en soi, et qu'enfin les faits scientifiques ne doivent plus être jugés selon leur degré de réalité, mais selon leur désirabilité au regard des idéologies à la mode.

    Dans ces conditions la notion même de politique se transforme. On dit parfois aujourd’hui que « la politique a tout envahi ». Et c'est vrai, comme le remarque M.A. Macciocchi, que la politique semble partout passée « au poste de commandement ». Mais constater cette politisation générale, c'est du même coup reconnaître que la « politique » ne se fait plus uniquement dans ses lieux traditionnels. Les idéologies sont devenues conscientes d'elles-mêmes : tous les domaines de la pensée et de l'action, en tant qu'ils appartiennent à l'espace humain, se révèlent dotés d'une dimension idéologique. De ce fait, les secteurs d'activité ou de réflexion non directement politiques ont perdu, irréversiblement sans doute, la « neutralité » qu'on avait cru pouvoir leur attribuer. La neutralité est morte. Le seul fait d'appartenir à une école de pensée, de voter pour un parti plutôt que pour un autre, de professer une idée générale sur quelque sujet que ce soit, implique que une prise de position susceptible de s'étendre, de proche en proche, à tous les autres domaines.

    On peut dès lors se demander si l'enjeu fondamental du politique se joue encore dans l'arène de la « politique politicienne ». Les compétitions électorales ne seraient-elles pas plutôt l'occasion de mesurer, de façon concrète, la résultante politique d'une action plus diffuse, de type « métapolitique », mise en œuvre ailleurs que dans le cercle étroit des états-majors de parti?

    Poser cette question, c'est évoquer l'existence d'un pouvoir culturel, qui s'est mis en place face au pouvoir politique et qui, d’une certaine façon, l’a précédé. C'est évoquer aussi la figure de celui qui fut le grand théoricien de ce « pouvoir culturel » : le communiste italien Antonio Gramsci, mort en 1937, et dont l'influence dans les milieux de la gauche européenne s’est révélée considérable – sinon décisive.

    Comment l'esprit du temps transforme l'esprit des lois

    Emprisonné sous le fascisme, Antonio Gramsci se livre à une réflexion en profondeur sur les causes de l'échec des partis socialistes et communistes pendant les années 1920. Les questions qu'il se pose sont celles-ci : comment se fait-il que la conscience des hommes soit « en retard » sur ce que devrait leur dicter leur « conscience de classe »? Comment les couches dominantes minoritaires parviennent-elles à se faire obéir « naturellement » des couches dominées majoritaires? Dans une société développée, quelles sont les voies de passage au socialisme? Gramsci répond à ces questions en étudiant de plus près la notion d'idéologie et en opérant une distinction décisive entre « société politique » et « société civile ».

    Par société civile (terme qu'il reprend chez Hegel bien qu'il ait été critiqué par Marx), Gramsci désigne l'ensemble du secteur « privé ». C'est-à-dire le domaine culturel, intellectuel, religieux et moral tel qu'il s'exprime dans le système des besoins, la mentalité collective, etc. La société politique, elle, recouvre les institutions et l’appareil coercitif de l’Etat. La grande erreur des communistes, dit Gramsci, a été de croire que l’Etat ne repose que sur son appareil politique. En fait, l'État « organise le consentement », c'est-à-dire dirige, tout autant par le moyen d'une idéologie implicite, ayant ses racines dans la société civile et reposant sur des valeurs admises et considérées comme « allant de soi » par la majorité des sociétaires. Il possède donc un appareil civil, qui englobe la culture, les idées, les mœurs et jusqu'au sens commun. L’Etat, autrement dit, n'exerce pas seulement son autorité par la coercition. À côté de la domination directe, du commandement qu'il exerce par le canal du pouvoir politique, il bénéficie aussi d'une sorte d'« hégémonie idéologique », d’une adhésion spontanée de la majorité des esprits à une conception du monde, à une vue du monde qui le conforte dans ce qu'il est. (Cette distinction, on le notera, n’est pas très éloignée de celle faite par Louis Althusser entre l’« appareil répressif d’Etat » et les « appareils idéologiques d’Etat », ce qui n’a d’ailleurs pas empêché Althusser de critiquer violemment Gramsci, à propos notamment de son « historicisme »).

    Réalisant parfaitement que c'est dans la société civile que s'élaborent, se diffusent et se reproduisent les conceptions du monde, les philosophies, les religions et toutes les activités intellectuelles ou spirituelles qui contribuent à façonner le consensus social, Gramsci affirme, à l’encontre du marxisme orthodoxe, qu'au sein de la société la superstructure (rapports idéologiques et culturels) est dans une certaine mesure autonome par rapport à l'infrastructure (rapports économiques), et que dans certains cas c'est la première qui détermine la forme de la seconde. Il en découle que l'abolition de la propriété des moyens de production ne suffit pas à marquer le passage au socialisme. Il faut encore transformer les hommes, transformer les rapports sociaux et proposer un autre modèle de vie quotidienne.

    Alors qu'« en Orient, l'État était tout, tandis que la société civile était primitive et gélatineuse » (lettre à Togliatti 1924), en Occident, et tout particulièrement dans les sociétés modernes ou le pouvoir tend à devenir diffus, le rôle joué par la partie « civile » de la superstructure sociale, celle qui détermine la mentalité de l'époque – l’esprit du temps –, est considérable. C'est de ce facteur que les mouvements communistes des années vingt n'ont pas tenu compte. Ils ont été induits en erreur par l'exemple de la révolution de 1917 : si Lénine, en effet, a pu s'emparer du pouvoir, c'est (entre autres raisons) parce qu'en Russie la société civile était pratiquement inexistante. Dans les sociétés occidentales modernes, la situation se présente différemment : il n'y a pas de prise du pouvoir politique possible sans prise préalable du pouvoir idéologique et culturel.

    La Révolution de 1789 est un exemple : elle n'a été possible que dans la mesure où elle a été préparée par une « révolution des esprits », en l'occurrence par la diffusion de la philosophie des Lumières auprès des milieux aristocratiques et bourgeois représentant les centres de décision du moment.

    En d'autres termes, un renversement politique ne crée pas une situation, il la consacre. « Un groupe social, écrit Gramsci, peut et même doit être dirigeant dès avant de conquérir le pouvoir gouvernemental : c'est une des conditions essentielles pour la conquête même du pouvoir » (Cahiers de prison). Dans cette perspective, remarque Hélène Védrine, « la prise du pouvoir ne s'effectue pas seulement par une insurrection politique qui prend en main l'État, mais par un long travail idéologique dans la société civile qui permet de préparer le terrain » (Les philosophes de l'histoire, Payot, 1975). Dans une société développée, le passage au socialisme ne s'opèrera ni par le putsch ni par l'affrontement direct, mais par une transformation des idées générales, équivalant à une lente subversion des esprits. L'avenir n'est plus à la guerre de mouvement, mais à la guerre de positions. Et l'enjeu de cette « guerre de positions » est la culture, considérée comme le poste central de commandement et de spécification des valeurs et des idées.

    Gramsci récuse donc à la fois le léninisme classique (théorie de l'affrontement révolutionnaire), le révisionnisme stalinien des années trente (stratégie de « front populaire » ou de « programme commun ») et les thèses de Kautsky (stratégie du « vaste rassemblement ouvrier »). Parallèlement au « travail de parti », qui est un travail directement politique, il propose d'entreprendre un « travail culturel », consistant à substituer une « hégémonie culturelle prolétarienne » à l'« hégémonie bourgeoise », et qui aura pour but de rendre compatible la mentalité de l'époque (c’est-à-dire la somme de sa raison et de sa sensibilité) avec un message politique nouveau. Pour obtenir de façon durable la majorité politique, affirme Gramsci, il faut d'abord obtenir la majorité idéologique, car c'est seulement lorsque la société en place sera gagnée à des valeurs différentes des siennes propres qu'elle commencera à vaciller sur ses bases – et que son pouvoir effectif commencera à s'effriter. La situation, alors, pourra être exploitée sur le plan politique : l'action historique ou le suffrage populaire confirmeront – en la transposant au plan des institutions et du système de gouvernement – une évolution déjà acquise dans les mentalités.

    La fonction des intellectuels

    C'est évidemment aux intellectuels – à l'intelligentsia – que Gramsci demande de « gagner la guerre culturelle ». Il donne toutefois de cette catégorie une définition nouvelle, très large, Pour Gramsci, l'intellectuel se définit d'abord par sa fonction sociale (sa « dimension organique »), et par la place qu'il occupe au sein d'un processus historique. « Tout groupe social, qui naît sur le terrain originaire d'une fonction essentielle dans le monde de la production économique, écrit-il, se crée en même temps de façon organique une ou plusieurs couches d'intellectuels qui lui donnent homogénéité et conscience de sa fonction, non seulement dans le domaine économique, mais également dans le domaine social et politique » (Cahier 12).

    Les intellectuels sont donc, dans un sens non péjoratif, les « commis » du groupe dominant : ce sont eux qui organisent « le consentement spontané des grandes masses de la population à la direction imprimée à la vie sociale par le groupe fondamental dominant » et qui, en même temps permettent « le fonctionnement de l'appareil de coercition de l'État ». La tâche de la nouvelle intelligentsia sera de conquérir la majorité idéologique, « terreau » sans lequel le pouvoir en place ne peut que dépérir. C'est au niveau de ces « intellectuels organiques » que Gramsci recrée le sujet de la politique et de l'histoire – « le Nous organisateur des autres groupes sociaux », pour reprendre une expression d'Henri Lefebvre (La fin de l'histoire, Minuit. 1970). Ce sujet n'est plus le Prince ni l'État, ni même le parti, mais l'avant-garde intellectuelle qui, par un lent « travail de termites » (évoquant la « vieille taupe » dont parle Marx), remplit une « fonction de classe » en se faisant le porte-parole des « groupes représentés dans les forces de production » et en donnant au prolétariat l'« homogénéité idéologique » et la conscience propre à assurer son hégémonie (terme qui, chez Gramsci, remplace et déborde celui de « dictature du prolétariat »)

    Au passage, Gramsci détaille les moyens qu'il estime propres à la persuasion permanente: appel à la sensibilité populaire, renversement des valeurs courantes, création de « héros socialistes », promotion du théâtre, du folklore et de la chanson populaire, expression de nouvelles valeurs « métapolitiques » dans le domaine de la mode, de l'urbanisme, des spectacles, de la littérature, etc. Dans ses propositions, Gramsci s’inspire d’ailleurs de certains succès initiaux du fascisme italien (en 1914-15, il était assez proche du jeune Mussolini, alors leader socialiste révolutionnaire).

    Au moment où il écrit – dans le courant des années trente –, Antonio Gramsci sait très bien que l'après-fascisme ne sera pas socialiste. Mais il pense que cette période, durant laquelle le libéralisme régnera à nouveau, sera une excellente occasion de pratiquer l'encerclement du pouvoir politique par le pouvoir culturel. D'abord parce que les tenants du socialisme et du communisme y seront moralement en position de force. Ensuite parce que les régimes libéraux, où le pluralisme politique est la règle, sont par nature ceux où l'intelligentsia a le plus de libertés d'exercer sa fonction critique, en même temps que ceux ou le consensus populaire est le plus évanescent.

    Gramsci meurt le 25 avril 1937 dans une clinique italienne. Recueillis par sa belle-sœur, ses Cahiers de prison – trente-trois fascicules au total – vont exercer, après la guerre, une influence considérable, d'abord sur le PC italien qui, sous l’influence notamment de Palmiro Togliatti, va mettre en œuvre une stratégie politico-culturelle directement inspirée du « gramscisme », ensuite sur des fractions de plus en plus larges de la gauche et de l'extrême gauche des pays européens.

    Si l'on s'en tient à leurs aspect purement méthodologique, les vues de Gramsci se sont révélées prophétiques. Aussi ne doit-on pas s'étonner de la part qu'elles ont pu prendre dans la redéfinition actuelle des stratégies de gauche et d'extrême gauche. La naissance d'un véritable pouvoir culturel dans tous les pays occidentaux, la recherche d'un nouveau « bloc historique » par plusieurs partis communistes européens, l'abandon par le PC français de la notion de « dictature du prolétariat », certaines évolutions tactiques des communistes espagnols et italiens, la multiplication et la diffusion des phénomènes « culturels » dérivés de Mai 1968, tous ces événements s'inscrivent, malgré leur caractère très divers, dans un contexte profondément marqué, entre autres, par la pensée de Gramsci, dont le point d'aboutissement logique est le renversement de la « majorité idéologique » par substitution de valeurs et transformation de l'esprit du temps. Il y a quatre ans, Bernard-Henri Lévy titrait l'un de ses articles : « Gramsci, c'est fini! » (Le Quotidien de Paris, 5 Juillet 1974). On peut dire aujourd'hui : Gramsci, ça ne fait que commencer.

     

    Alain de Benoist (Le Figaro magazine, 11-12 mars 1978)

     

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  • L'agonie de l'Euro(pe) ?...

    La superbe présentation vidéo du prochain numéro de la revue Eléments qui doit paraître le 14 octobre prochain :

    Au sommaire :

    éditorial : « Mort à crédit », par Robert de Herte.

    Entretien avec Richard Millet : l'imprécateur.

    Eros ou Agapé : amour qui prend ou amour qui donne.

    Entretien avec Jacques Vergès : "Sarkozy trahit la France !"

    Le combat des idées : Tintin à Hollywood : un mariage contre-nature ?

    L’addictature ou l’impossible révolte.

    Dossier : L’agonie de l’euro(pe) !

     

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  • Entre mémoires locales et volonté continentale : l'Esprit européen !...

    Les éditions Heligoland viennent de publier L'Esprit européen entre mémoire locale et volonté continentale, un copieux recueil d'article de Georges Feltin-Tracol, préfacé par Pierre Le Vigan. Georges Feltin-Tracol est un des animateurs du site Europe Maxima et a déjà publié chez le même éditeur Orientations rebelles, un recueil dont les textes, selon Alain de Benoist, témoignaient "d'un sens aigu de la synthèse et d'une belle capacité de pensée critique".

     

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    "Débat sur l’identité nationale en France pendant l’hiver 2009-2010, appels répétitifs à respecter la laïcité, enlisement institutionnel de l’Union européenne, rejet référendaire de la Constitution européenne en 2005, réveil des peuples sans État, domination stratégique pesante de l’Occident et de l’hyper-classe oligarchique mondialiste sur le "Vieux Monde", risques d’éclatement de la Belgique et de l’Italie, regain des régionalismes dans l’Hexagone, anticipation d’une « Grande Suisse », rôle asphyxiant de Paris et de sa région, prégnance de la géopolitique…, notre continent arrive à un moment décisif de son histoire sans que ses peuples apathiques, déboussolés et amnésiques s’en aperçoivent vraiment.

    Et si, en dépit de tous ces dangers, ces épreuves invitaient à retrouver notre esprit européen dans sa multiplicité déclinée en mémoires locales, régionales et nationales, souvent antagonistes et contradictoires, et en une volonté géopolitique continentale soucieuse d’agir (et de réagir) aux événements du monde ? 

    Produit plus que somme de nos peuples, de nos cultures, de nos identités, l’esprit européen se compose de formes variées et éclectiques à l’opposé d’une uniformité moderne et hyper-moderne. Cet éclectisme est une richesse, c’est aussi la meilleure façon de contenir et de riposter à la menace mondialiste américanocentrée, aux défis démographiques africain et musulman, aux périls de la finance transnationale et des banksters et à la rude concurrence des nouveaux pays industrialisés d’Asie et d’Amérique latine. Les Européens devraient se souvenir que l’union construite sur la force cumulée des identités fait la puissance.

    Recueil de soixante-dix textes dont certains sont inédits, d’un avant-propos et d’une préface de Pierre Le Vigan, L’Esprit européen entre mémoires locales et volonté continentale participe au combat culturel d’aujourd’hui et de demain. Il en fournit les indispensables munitions.

    Contre le projet dément de l’hyper-classe, de la Mégamachine occidentaliste mondiale et de son bras armé, le simulacre de l’U.E., la réappropriation de l’esprit européen dans sa complexité charnelle intrinsèque est nécessaire afin de redonner un sens à la spiritualité, à la légitimité, à la souveraineté, à l’identité, à la laïcité et à la puissance et de rétablir l’Europe sur des assises populaires et historiques grâce à ses mémoires locales et à sa volonté géopolitique. Allons donc à la découverte de cet esprit polymorphe !"

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